Vie du CHU

Une étape de franchie pour l’universitarisation de la médecine palliative à Clermont-Ferrand !

Pr Virginie Guastella a soutenu son habilitation à diriger des recherches le 9 octobre dernier. Elle nous explique ce que cela implique pour sa discipline et les enjeux de la médecine palliative en matière de recherche.

À quelques jours de la Journée Mondiale des Soins Palliatifs, vous venez de soutenir votre Habilitation à diriger des recherches (HDR). Que représente cette étape pour vous et pour la médecine palliative ?

Obtenir mon HDR est une étape cruciale dans mon parcours, après 21 ans d’exercice de la médecine palliative. Cela me permet de regarder en arrière et de mesurer le chemin parcouru, mais aussi de recevoir la reconnaissance de mes pairs, ce qui est particulièrement gratifiant. Cette HDR représente également un jalon important pour notre discipline encore bien fragile et en quête de reconnaissance : elle renforce notre identité et assoit notre légitimité académique au sein de l'Université. 

Comme le rappelait le Pr Nicolas Authier, « l’HDR est le plus haut diplôme des universités françaises. Il consacre les compétences d’un chercheur à diriger et former d’autres chercheurs. »

Il y a aussi une volonté de transmission qui va bien au-delà de la simple acculturation. 

Pourquoi est-ce important pour les soins palliatifs de s’ancrer davantage dans l’université ?

S’il existe une politique nationale de développement des soins palliatifs, elle ne peut se faire sans développer une filière universitaire de médecine palliative permettant de former des médecins spécialistes, d’acculturer tous les professionnels de santé et de préparer les futurs hospitalo-universitaires de la discipline.

La médecine palliative est une discipline médicale récente. À ce jour, c’est une filière universitaire transversale créée pour permettre l’enseignement et le développement de la recherche en médecine palliative, et sur la fin de vie. Cependant, elle est devenue indispensable pour faire face à des situations cliniques, de plus en plus complexes, qui se chronicisent et génèrent de grandes vulnérabilités en lien avec le progrès médical.

Les deux principaux critères de jugement de sa réussite retenus par la sous-section 46-05 et son président François Goldwasser sont : 

  • • l’offre d’enseignements, le nombre d’enseignants, et le nombre de personnes formées sur l’ensemble du territoire dans ce domaine ; 
  • • la contribution aux recommandations internationales de cliniciens-chercheurs français et l’intégration dans les sociétés savantes internationales de la médecine palliative française.

Quels sont, selon vous, les principaux impacts de l'universitarisation sur la pratique des soins palliatifs ?

Il est important de créer des vocations !  L’universitarisation et l’arrivée de postes de professeur des université – praticien hospitalier (PU-PH) va de pair avec l’attractivité de la discipline. Or, il est un besoin impérieux aujourd’hui de faire évoluer la démographie médicale des palliatologues. Le manque de médecins experts formés est significatif. Ces constats contrastent avec les besoins identifiés sur le terrain. Une enquête non publiée, menée en 2020, a montré que près de 10% des postes sur le total déclaré (en équivalent temps plein) ne sont pas pourvus. En tenant compte de la pyramide des âges des soignants, les auteurs de l’étude estimaient qu’il faudrait dans les 5 ans à venir plus de 440 nouveaux médecins experts pour exercer au sein des unités des soins palliatifs (USP) et des équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) et entre 260 et 285 dans une hypothèse de maintien à périmètre constant de ces unités. Alors même qu’il existe un décalage de près de 30% entre les effectifs réels affectés dans les structures spécialisées et l’encadrement théorique recommandé par l’instruction ministérielle de 2023, relative à l’organisation des soins palliatifs (Instruction interministérielle n°DGOS/R4/DGS/DGCS/2023/76 du 21 juin 2023 relative à la poursuite de la structuration des filières).

Comment la recherche en soins palliatifs a-t-elle évolué au cours des dernières décennies ?

La recherche française en Médecine Palliative est en plein essor. L’universitarisation de la Médecine Palliative a permis de dynamiser la recherche française. A défaut de travaux fondamentaux inappropriés à notre exercice, elle se développe et s’inscrit dans un champ de thématiques vastes et transversales, comme entre autres, le contrôle des symptômes, les pratiques sédatives, les limitations et arrêt de thérapeutiques, la qualité de vie et ses indicateurs, les trajectoires de fin de vie, l’intégration des soins palliatifs dans différentes spécialités, les questions éthiques de la fin de vie, l’advance care planning, les études médico-économiques, la pédagogie. Ces dernières années, l’intégration de nos chercheurs au sein de laboratoires de recherche a contribué à construire des collaborations et réseaux solides et pérennes. Pour preuve, la qualité et la quantité des publications françaises ne cessent de croître et ce, malgré l’absence de revues de rang A dans notre discipline et de seulement deux revues de rang B. Ainsi, 20% des publications des 5 dernières années de 11 chercheurs en Médecine Palliative le sont en rangs A ou B et l’on compte 84 publications internationales dans des revues indexées. Les appels d’offre obtenus sont également de plus en plus nombreux, favorisant des coopérations internationales. Ces travaux concourent à une représentation française dans les congrès internationaux de la discipline et à l’intégration au sein des sociétés savantes internationales pour contribuer à des travaux collaboratifs notamment l’élaboration des recommandations. Notre objectif est que la Médecine Palliative française puisse, dans les années à venir, devenir un acteur qui compte sur la scène internationale.

Comment la recherche peut-elle contribuer à améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs ?

La médecine palliative est une discipline interdisciplinaire. Le champ de la recherche est donc vaste : allant des compétences technoscientifiques aux compétences relationnelles en passant par les compétences éthiques et législatives sans oublier l’accompagnement et la spiritualité.
Pour améliorer la qualité de vie, on pense prise en charge symptomatique avec en première ligne l’amélioration de la gestion de la douleur. Ainsi, la recherche peut contribuer au développement de nouveaux traitements antalgiques plus efficaces, moins invasifs, mieux tolérés. 
Le titre de mon HDR : « Antalgiques opioïdes et douleur du cancer. Quelle prévalence d’usage inapproprié ? Quelle échelle de dépistage ? » est significatif de la place prépondérante de ce symptôme dans le parcours des patients atteint d’une maladie grave.

Les patients en situations palliatives souffrent souvent de symptômes comme la fatigue, l’anxiété, la dépression, la perte d’appétit, les nausées…. La recherche peut avoir pour objectif d’identifier des moyens pour mieux gérer ces symptômes, en utilisant des approches pharmacologiques ou non. Des recherches émergentes sur des thérapies complémentaires, comme l’aromathérapie, la musicothérapie, ou la méditation en pleine conscience peuvent offrir de nouvelles options pour améliorer le bien-être global des patients. Ces approches peuvent contribuer à réduire l’angoisse et à améliorer la qualité de vie, même dans les derniers instants de la vie.  Par exemple, nous avions réalisé en 2021 une étude sur la faisabilité de séances de réflexologie plantaire auprès de patients hospitalisés en unité de soins palliatifs (Marcolin ML, Tarot A, Lombardo V, Pereira B, Lander AV, Guastella V. The effects of foot reflexology on symptoms of discomfort in palliative care: a feasibility study. BMC Complement Med Ther. 2023 Feb 28;23(1):66. doi: 10.1186/s12906-023-03873-5. PMID: 36855141; PMCID: PMC9971681). Nous démarrons actuellement une étude dans le service visant à étudier l’efficacité sur le bien-être d’une utilisation répétée du « music care » et de la réalité virtuelle lors des soins chez des patients hospitalisés en unité de soins palliatifs.

L’éthique et les lois sont aussi l’occasion de nombreux travaux de recherche. Avec le Pr Alexandre Lautrette, nous nous préoccupons de la mise en application sur le terrain du respect des principes éthiques et législatifs français, avec notamment un travail réalisé durant la crise sanitaire (Guastella V, Lambert C, Lafforgue A, Metretin P, Verstreate A, Watelet S, Perceau-Chambard É, Lautrette A. Withholding or withdrawing life-sustaining treatments in the COVID-19 pandemic: adherence to legal standards. BMJ Support Palliat Care. 2023 Aug 3:spcare-2023-004504. doi: 10.1136/spcare-2023-004504. Epub ahead of print. PMID: 37536752).

Les recherches en soins palliatifs mettent également en lumière l’importance d’une approche centrée sur le patient, qui prend en compte ses besoins émotionnels, psychologiques, spirituels, et sociaux. Des études sur les modèles de communication entre les soignants, les patients et leurs familles peuvent améliorer la compréhension mutuelle et aider à adapter les soins aux préférences individuelles des patients, réduisant ainsi le stress et l’anxiété.

Je co-encadre avec le Pr Axelle Maneval la thèse de science d’une étudiante qui repose sur une étude originale s’intéressant aux interactions sociales entre les individus et les groupes, dans le contexte spécifique, de la prise de décision, en fin de vie. Elle vise à observer l’impact des déterminants psychiques sur les pratiques soignantes en fin de vie.

Des travaux récents pourraient aussi aider à intégrer les technologies numériques dans les soins palliatifs. Par exemple, des applications de télémédecine ou des outils numériques pour suivre les symptômes à distance et permettre une meilleure gestion des soins à domicile et un suivi plus personnalisé.

Quel état des lieux pourrait-on faire sur le recherche sur la fin de vie ?

Pour répondre à cette question, je vous invite à la soirée ACCOMPALLIA du 8 novembre prochain à la Faculté de Médecine. Seront présents : 

  • • Sarah Carvalho, philosophe (spécialité : philosophie de la médecine), professeur des universités à l’Université Lyon 1, Co présidente de la Plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie et co-responsable du programme interdisciplinaire de recherche sur la fin de vie porté par l'Agence de Santé INSERM. Elle abordera le thème suivant : « Vécu chez les oncologues médicaux de l’annonce de transfert en Unité de Soins Palliatifs »
  • • Les Dr Olivier Renard et Guillaume ECONOMOS, jeunes chercheurs qui portent l’avenir de la discipline. Ils aborderont le thème suivant : « Enjeux et barrières à l’implication de patients partenaires en recherche en soins palliatifs »